Créer un site internet

L'appel des 81

Appel aux architectes

"Ce texte a été réalisé en 2018, en collaboration avec 81 étudiants en architecture en formation HMONP. J'ai participé à l'écriture de ce texte. Il a été envoyé à la ministre de la culture et à obtenue réponse en 2019."

Nous sommes titulaires d’un diplôme d’état d’architectes (DEA). Nous poursuivons une formation à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon afin d’obtenir l’habilitation à exercer la maîtrise d’œuvre en son nom propre (HMONP).

Dans quelques mois, nous aurons parachevé notre formation et serons en capacité d’exercer de façon indépendante. En capacité seulement car la réalité s’annonce difficile. Les architectes sont devenus les fusibles d’un système qui ne respecte plus les compétences d’une vraie maîtrise d’œuvre et ne la considère plus à sa juste valeur. Nous dérangeons. Notre capacité à transformer le réel pour donner du sens est écartée au bénéfice d’un dispositif sans vision, abaissant la création architecturale à un produit de consommation. L’architecture est déclarée d’intérêt public depuis 1977. Elle doit être de qualité, refléter notre culture, être ambitieuse. La réalité s’éloigne chaque jour de ces engagements. Nous assistons à une généralisation d’une culture de la médiocrité, d’un urbanisme sur brûlis encouragé par une réglementation mille-feuilles au dépend de la vie et de l’intérêt général. Cette situation doit cesser.

Nous ne souhaitons pas exercer notre métier dans ces conditions. Nous ne participerons pas à cette dégradation des paysages, à la construction de ces zones monofonctionnelles sans âme. Nous ne dessinerons plus ces logements indignes pour des honoraires dévalués dans lesquels aucun d’entre nous n’a le désir d’habiter, ni ces bâtiments devenus des assemblages de produits génériques qui détruisent les savoir-faire et l’économie locale de notre pays. Ils participent au délitement social, au marasme économique, écologique et humain dont nous refusons de porter la responsabilité.

L’architecture doit se remettre en question et accompagner à sa manière les changements et les prises de conscience qui s’observent dans notre société. Nous voulons travailler avec optimisme, créativité, intelligence et discernement. L’architecture doit redevenir une aventure collective et prioriser le sens et les savoir-faire de chacun.

Nous vous appelons à signer cet appel, à faire corps ensemble. Nous exigeons des états généraux de l’architecture et un éveil des consciences.

Vivent les architectes, vive l’architecture.

L’appel de Lyon

1. Pourquoi former des architectes pour ensuite se passer de leurs services en restreignant leurs missions et en les écartant de la commande ? Notre territoire et notre société se délitent à cause d’une urbanisation irraisonnée, fruit d’une politique d’objectifs quantitatifs assujettis au temps court du calendrier politique qui détruit nos ressources et nos richesses. Comment revaloriser et étendre les missions de l’architecte, mettre ses compétences au service du bien commun, du temps long de la fabrique de la ville et remédier à cette catastrophe économique, sociale et environnementale ?

2. A contrario, pourquoi laissons-nous le droit de construire à des individus qui ne présentent aucune compétence autre que technique ? Le patrimoine de notre pays se dégrade chaque jour. Comment l’Etat peut-il être le garant d’une production architecturale et urbaine qualitative, intelligente, contextuelle et durable ?

3. Pourquoi notre système favorise-t-il une commande à laquelle seuls quelques majors sont en mesure de pouvoir répondre ? Les projets urbains attribuent des îlots entiers à quelques géants. L’échelle de ces opérations ne permet pas aux architectes comme aux entreprises de petite taille de prétendre à leur réalisation. Comment encourager au contraire une fabrique de la ville qui évite la concentration des acteurs, pour permettre la sauvegarde et le développement des petites entreprises et retrouver enfin une échelle de ville qui soit celle de l’humain ?

4. Pourquoi l’accès à la commande publique est-il verrouillé par un dispositif d’exigences absurdes favorisant les critères d’attributions d’ordre quantitatifs plutôt que la qualité, le mérite et la motivation ? La plupart des architectes ne sont pas en mesure de répondre à des appels d’offre pour absence de références ou faute de présenter un chiffre d’affaire conséquent alors même qu’ils font un travail remarquable. Comment mettre en place un système qui mette en avant les capacités, les valeurs et les idées et donne aux jeunes agences la possibilité d’accéder à la commande ?

5. Pourquoi un concours d’architecture n’est-il pas jugé par une majorité d’architectes et un jury réellement compétent ? Le système actuel ne permet pas de bien juger un projet. L’image, le prix et le montant des honoraires prennent le dessus au détriment de la qualité de l’architecture. Le jugement du jury n’est pas rendu public ni applicable le jour même. Comment mettre en place un système de sélection plus intelligent, sensé, transparent et démocratique ?

6. Pourquoi notre système réglementaire est-il un des plus compliqué d’Europe ? Nous passons tout notre temps à jongler avec des normes qui évoluent et se contredisent l’une l’autre, au dépend de la qualité architecturale. Comment réformer ce système normatif inopérant et créer des règles qui favorisent l’intelligence de situation, la réflexion, l’échange et le débat plutôt que l’application stricte d’avis conformes, ou non conformes ?

7. Pourquoi nos réglementations dévalorisent systématiquement le recours à des matériaux naturels dont nous disposons pourtant en quantité, terre, bois, pierre, pour favoriser des matériaux industrialisés ? Comment, à travers nos règlements, légitimer à nouveau le recours à une diversité de techniques qui ont fait leurs preuves et notre renommée par le passé afin de se réapproprier nos savoir-faire, de créer de l’emploi et d’enrichir nos économies locales ?

8. Pourquoi notre réglementation technique fait elle le jeu des grands industriels, seuls à même de pouvoir répondre aux appels d’offre au regard des certifications exigées par les standards ? Les petites et moyennes entreprises sont cantonnées au rôle d’installateurs en sous-traitance de produits industriels souvent importés et leurs compétences propres sont écartées. Nous assistons à un renchérissement du coût de la construction provenant d’une dépréciation des savoir-faire et de situations de monopoles des grands industriels. Comment imaginer une réglementation qui protège et valorise la compétence artisanale, la production locale, l’innovation, l’exception et non la standardisation afin de construire mieux, à des coûts maitrisés ?

9. Pourquoi notre système favorise-t-il de plus en plus les dispositifs de conception/réalisation et les partenariats publics privés pour des opérations qui ne le nécessitent pas ? Mettre aux mains de grands groupes privés des opérations d’intérêt public n’est-il pas contradictoire avec l’idée d’assurer une bonne utilisation de l’argent public ? Comment garantir la qualité architecturale dès lors que l’entreprise mandataire revêt tous les pouvoirs et finit par écarter la maîtrise d’œuvre de ses missions ?

10. Pourquoi ne parler du logement qu’en termes quantitatifs ? Le logement doit être construit pour être habité et non pour répondre aux seuls critères de la rentabilité et de la réglementation. Une nouvelle construction doit enrichir le contexte dans laquelle elle s’insère et la communauté qui l’accueille. Ne faudrait-il pas repenser le rôle des acteurs de la construction et notamment celui des financiers pour aboutir à des projets dignes de l’homme, qui formeront le patrimoine de demain et notre richesse future.

Réhabilitons une maîtrise d’œuvre à sa valeur propre.

Vive l’architecture !

Les 81 de l'appel de Lyon

×